MO YAN
Le clan du sorgho rouge
"Les Japonais se sont repliés. La grosse lune à la lueur chétive, ronde comme un papier découpé, qui est apparue derrière les sorghos se ratatine puis darde ses rayons avec de plus en plus d’énergie au fur et à mesure qu’elle s’élève au-dessus de leurs faîtes. Eux qui ont tant vu et tant souffert se tiennent cois, respectueux dans sa lumière. Sur la terre noire tombent çà et là, larmes cristallines, quelques-uns de leurs grains ; au-dessus flotte le parfum, fétide et sucré, dense et épais, du sang qui la détrempe au sud du village. "
" La journée lui semble soudain avoir duré dix ans, ou un instant. Il revoit sa mère, en train de saluer leur départ au milieu de cette étonnante purée de pois à la sortie du village. L’image est toujours vivante à ses yeux, en dépit des heures qui l’en séparent. La marche était difficile au milieu des plants, il se ressouvient de Wang Wenyi et de son oreille touchée par une balle perdue, des cinquante et quelques membres de l’escouade en train de progresser, épars comme des crottes de mouton, sur la grand-route qui mène au pont ; et le poignard tranchant aux reins du Muet, son regard sinistre et brutal, les têtes des Japs en train de voler, les fesses desséchées du vieux… Sa mère sur la digue tel un phénix aux ailes déployées… Les galettes… Ces galettes qui se répandent sur le sol… Les sorghos rouges un à un couchés… Un à un qui tombent comme des héros…"